Rachi écrivait l’hébreu, avec esprit et élégance. Quand il ne disposait pas du terme hébreu adéquat, ou simplement quand il voulait indiquer un mot français correspondant, il transcrivait le français en caractères hébraïques. Ces mots français translittérés — on en a relevé près de 1500 mots dans ses commentaires bibliques et pas moins de 3500 dans ses commentaires talmudiques — sont d’ailleurs aujourd’hui une source d’information précieuse pour l’étude de l’ancien français.
Pour l’hébreu parlé d’aujourd’hui, point n’est besoin d’être versé dans les subtilités homilétiques de Rachi, pour y constater la présence de certains mots français. Le français a notamment marqué le langage des enfants en Israël et nombre de mots ou d’expressions françaises sont des incontournables de leurs jeux. Vous vous étonnerez de voir de purs petits sabras jouer à pierre-feuille-ciseaux (jeu appelé en France « feuille-caillou-ciseaux »), se concerter du regard et compter ensemble du ton le plus sérieux « un, deux, trois » (prononcé avec l’accent israélien un’, dé, trou-a) pour synchroniser leur jeu de mains. S’ils désirent, en cas de force majeure, interrompre un jeu, ils diront poucesans autre forme de procès !
Remarquons aussi en passant que le guidon de leurs vélos (comme celui des adultes d’ailleurs) se nomme en hébreu kidon; et la trottinette est en Israël devenue une corkinette.
Le domaine de l’automobile, où les mots étrangers abondent et sont même plus usités par les chauffeurs que leurs équivalents hébraïques, compte quelques autres gallicismes. L’intégrité d’un châssis est en Israël cruciale, plus que partout ailleurs, pour pouvoir vendre sa voiture à bon prix. Attention, tout acheteur potentiel vérifiera également le nombre de tours du moteur par unité de temps à l’accélération ou au freinage, s’informant de l’harmonie des tourim.
Le langage de l’hygiène et de la cosmétique a, lui aussi, fait quelques emprunts modestes à la langue des grands parfumeurs. De Dan à Eilat, on utilise tous les jours niyar toilette (papier toilette), tampons, eau de Cologne et poudra.
Pour les achats, il est de bon ton de s’approvisionner dans les boutiques d’un passage quelconque plutôt que dans des grands magasins. Ces derniers étaient certes des innovations au dix-neuvième siècle, mais ils sont aujourd’hui passés, vous affirmeront vos amis israéliens, avant de vous emmener d’un pas nonchalanti, au bistrot du coin où l’on sert des omelettes, ou dans un restaurant gourmetoù ils vous parleront à loisir de l’hommage au cinéma français donné à la cinémathèque. Là, vous pourrez côtoyer la bohèma locale ou des personnalités publiques au prestigieux résumé (curriculum, comme disent les Français) sans que des clochards ne vous importunent. Peut-être croiserez-vous-même un auteur à la mode que vous reconnaîtrez à sa casquettede couleur beige. Vous verrez, il a beaucoup de charme. Préférez sa compagnie à celle des nouveaux richim (nouveaux riches) qui ne débitent que des clichés (clichaot dans la langue de Ben Yehuda) et portent de grosses gourmettes.
Guillotina, carte blanche, ricochet, cartonim (cartons), classeurim (classeurs)… Tout cela n’est que déjà-vu, disait déjà Qohélet !
Ce post est tiré du livre de Fabienne Bergmann, L’hébreu parle aux Français, Editions Lichma, disponible dans les librairies françaises d’Israël, en France et sur le site https://www.lichma.fr