Si l’hébreu ne fut jamais délaissé, il ne fut toutefois durant des siècles qu’une langue écrite (et lue) dans laquelle étaient essentiellement rédigées les Responsa. La Haskala engendra une littérature hébraïque laïque, mais ce n’est que près de cent ans plus tard que se produisit ce phénomène exceptionnel dans l’histoire qu’est de la résurrection de la langue. C’est Eliézer Ben-Yehouda qui œuvra à faire à nouveau de l’hébreu une langue vivante. A peine arrivé en Terre d’Israël, il déclara à sa jeune épouse que désormais ils ne parleraient qu’hébreu ! Firent de même les membres de l’association qu’il créa pour diffuser la langue. Ben-Yehouda rédigea un dictionnaire ןמילו (milon( et ce fut d’ailleurs le premier mot qu’il créa − à partir du termeמילה (mila = mot). Sur le même schème, il inventa – à partir du vocable עת (èt temps) le mot עיתון (iton journal) pour désigner une publication paraissant à intervalle régulier. Le journaliste est donc un עיתונאי (itonaï).
Ben-Yehouda et les autres promoteurs de l’hébreu moderne créèrent des mots selon plusieurs modes.
On pouvait par exemple s’inspirer de mots bibliques en leur donnant un sens nouveau. Le mot חשמל (hachmal)est dans Ezéchiel I : 4 pour le moins mystérieux. La Septante l’avait traduit par elektron qui signifie ambre en grec. Ben-Yehouda lui donna son sens moderne d’électricité. אקדח (Ekdah), autre mot biblique, signifiait « pierre de feu ». C’est aujourd’hui le révolver.
Un autre moyen, déjà évoqué, est de prendre une racine hébraïque et de la couler dans un certain schème. Ainsi, à partir de la racine ז’מ’ר’, sur le rythme de taarovèt (תערובת mélange) ou tirkovèt (תרכובת composé), naquit le mot tizmorèt (תזמורת orchestre), qui au départ aurait dû être mélodie, mais l’usage en décida autrement.
Si le mot מברשת (mivréchèt brosse) arbore fièrement un schème hébraïque, sa racine est empruntée… à l’anglais. Mais on l’utilise tant pour les cheveux, les dents ou les chaussures, qu’on ne sait même plus qu’il fut brush.
Ben Yehouda créa aussi מגהץ (maghetz fer à repasser), כתבה (catava article), מדרכה (midrakha trottoir), בובה (bubba poupée), משרד (misrad bureau), מטריה (mitriya parapluie), משטרה (michtara police), מקלחת (miklahat douche), ריבה (riba confiture), רכבת (rakévèt train), אופניים (ofanayim bicyclette) et quantité d’autres mots. Intéressant, n’est-ce pas ? Eh oui, il créa aussi מעניין (meanyen), justement !
Parmi les trouvailles les plus réussies citons נזלת (nazélèt rhume) qui allie la racine נ’ ז’ ל’ (couler) au schème des maladies (a-é-è) et ressemble en plus au mot « nasal »!
Le motגלידה (glida =glace) est tout aussi délicieux (sic) puisque sa racine ג’ל’ד’, évoquant quelque chose de glacé, déclinée sur le mode de mets comme קציצה (ksitsa = boulette), évoque en même temps son équivalent italien gelato !
Ben Yehouda créa ou recréa tant de mots que l’hébreu est aujourd’hui bien vivant et les Juifs venus des quatre coins du monde discutent, travaillent, font des déclarations d’impôts ou d’amour en hébreu. Un vrai miracle ! Notons que le phénomène en question, נס (ness), fut le dernier mot que Ben-Yehouda nota dans son dictionnaire avant de rendre l’âme. Il n’eut donc pas le temps d’y noter la définition de נפש (néfech).
Ce post est tiré du livre de Fabienne Bergmann, L’hébreu parle aux Français, Editions Lichma, disponible dans les librairies françaises d’Israël, en France et sur le site https://www.lichma.fr