Les hébraïsmes en français
Même si vous ne savez pas un mot d’hébreu, il vous suffit de posséder la langue de Molière pour avoir déjà un certain vocabulaire. Car le français a intégré, presque sans s’en rendre compte (comme monsieur Jourdain faisait de la prose) bien des hébraïsmes. Il y en a, vous vous en étonnerez, dans tous les registres de langage.
Le monde entier dit avec nous אמן (Amen), ainsi soit-il, ou הַלְּלוּיָהּ (Alleluia), gloire à Dieu. Exiger en retour que nous disions Amen à tout ce qui se dit est alors assez ingrat.
Nous attendons tous le Messie ̶ de l’hébreu משיח (Machiah), Oint. Ce concept est aussi entré dans la langue française sous sa forme d’origine grecque « Christos » pour désigner l’oint par les premiers chrétiens. On ne saurait confondre !
La géhenne, soit l’enfer ou le séjour des réprouvés n’est autre que le הנום גיא (guaï Hinom), biblique, soit la vallée de Hinnom, ou גיא בן הנום Guei ben Hinnom, la vallée des fils de Hinnom, qui a donné dès l’époque de la Michna le concept גיהינום (guéhinom), enfer. Là, on brûle peut-être, mais où on ne croisera pas de sérafins, mot qui pourtantvient de l’hébreu sarafim ou sérafim, pluriel de saraf (brûler). Ceux-là seront sans doute près des chérubins, de l’hébreu כרובים, (krouvim, pluriel de Kéroub), vu leur nature angélique.
Rabelais introduisit la locution hébraïqueתהו ובהו (tohou vabohou) en nous parlant des « isles de Tohu et Bohu » – à l’origine, si on peut dire, du concept de tohu-bohu – certes, un chaos supplémentaire dans la langue française qui connaissait pourtant déjà le capharnaüm – de כפר נחום, Kfar Nahoum, le village de Nahoum.
Mais n’allez pas croire qu’il n’y ait pas eu d’emprunts joyeux ! Un jubilé – de l’hébreu יובל (yôvel), encore utilisé pour annoncer le début de la septième année sabbatique (et oui, encore un intrus !) de remise des dettes – est une fête qui célèbre à intervalles réguliers l’anniversaire joyeux d’un évènement dont les effets se prolongent dans le temps (règne, mariage, etc.). Voir Lévitique 25, 10-13.
Et saviez-vousque les échalotes ne sont autres que des oignons d’Ascalon, notre bonne ville d’Achkelon, d’où il faudrait peut-être les faire revenir, ces oignons… car nous avions tant pleuré en les épluchant, qu’on aurait dit desjérémiades.
Parfois, les hébraïsmes ont pris en français un sens différent. Notre chabbat est, par une interprétation malveillante, devenue une assemblée nocturne et bruyante de sorciers et de sorcières qui prit au Moyen Âge le nom de sabbat. L’orthographe, dans ce cas, sera révélatrice d’intentions. Il en est de même pour la kabbale ou cabale – de l’hébreu קבלה (Kabala), tradition – qui peut être l’interprétation mystique de la Thora ou une méchante conjuration.
Sans parler de l’emprunt de locutions bibliques, passées telles quelles en français par le biais d’une traduction calque. Ainsi par exemple « le fruit défendu », « le jardin d’Eden », « avoir la nuque raide » ou encore « il y coule le lait et le miel ».
A croire que l’hébreu fut une vraie manne – מן(mane) !
Ce post est tiré du livre de Fabienne Bergmann, L’hébreu parle aux Français, Editions Lichma, disponible dans les librairies françaises d’Israël, en France et sur le site https://www.lichma.fr