Première partie : les racines
La logique interne de la langue hébraïque est tout autre que celle de la langue de Voltaire, mais cela ne signifie par pour autant qu’elle n’en a pas, bien au contraire ! La structure de l’hébreu est si consistante qu’elle en est presque mathématique. Ainsi, tout mot hébraïque peut s’analyser par l’interaction de deux phénomènes: la racine et le schème (michkal).
Commençons par les racines.
Qu’y a-t-il de commun entre une dictée, un contrat de mariage, une épigraphe et le révisionnisme historique ? Pas grand-chose en français. En hébreu, ces mots –הכתבה (hahtava), כתובה (ketouba), כתובת (ketovet) et שכתוב ההיסטוריה (chihtouv hahistoria) –viennent tous de la même racine כ’ת’ב’, celle du verbe écrire.
De surcroît, la langue la plus ancienne à être parlée aujourd’hui, porte intrinsèquement en elle, des vérités toutes modernes. Bien avant la science, l’hébreu – en faisant dériver les deux mots de la même racine – nous disait déjà que אזן (ozen), l’oreille, est non seulement l’organe de l’audition, mais également celui de l’équilibre, איזון (izoun). מאזן (maazan), le bilan, et מאזניים (moznaim), la balance,se rapportent eux aussi au même concept.
La racine de chaque mot se dégage naturellement pour le locuteur hébraïsant qui distingue l’ajout d’une consonne préfixale ou suffixale. Une racine hébraïque a généralement trois lettres, mais la langue connaît aussi des racines de quatre, voire de cinq lettres, surtout pour des mots « importés ».
On peut produire un adjectif, une conjugaison, une forme passive, un indicatif, etc. à partir de n’importe quelle racine, ou créer un néologisme à partir d’un mot d’origine étrangère –לעזי »ם (laazim) comme l’écrit Rashi.
Prenons par exemple le mot טלפון (téléphone) se prononçant bien entendu « téléfone ». Le verbe « téléphoner » suivant les règles de la grammaire hébraïque, se dit לטלפן (letalepène). Certains prononcent « letalefène » par assimilation, ce qui est une erreur, puisque le verbe, arrivé en Terre Sainte avec une racine de cinq lettres, a automatiquement été intégré à la forme de conjugaison renforcée du piyel qui ne connaît à l’infinitif que la mélodie é-a-é et dans laquelle le daguech transforme le f en p. C’est mathématique, vous disais-je.
L’hébreu a pu ainsi générer des mots et enrichir son vocabulaire selon sa propre logique. On peut même inventer un mot absent de tous les dictionnaires hébraïques et être parfaitement compris. Ma fille Nourit, par exemple, parle de פֵגֵש (péguech), pour une rencontre ou un rendez-vous entre amis, le mot ayant d’emblée un caractère plus intime et affectueux que le terme existant פגישה (peguicha). Il est immédiatement compréhensible, de par sa racine identique et son shème, semblable à celui de רגש (réguech), sentiment.
Et nul n’eut besoin d’ouvrir un dictionnaire quand le journaliste Haim Yavin a ouvert le journal télévisé le soir des élections de 1977 par le seul mot מהפך (mahapakh), de la racine ה’פ’כ’, comme contraire ou révolution, pour signifier le premier changement de majorité s’annonçant pour la nouvelle Knésset. L’impact fut si grand que le mot a fini par intégrer le dictionnaire.
Ce post est tiré du livre de Fabienne Bergmann, L’hébreu parle aux Français, Editions Lichma, disponible dans les librairies françaises d’Israël, en France et sur le site https://www.lichma.fr