L’hébreu est d’une cohérence mathématique.
Nous avons déjà évoqué le jeu des racines. Examinons à présent l’autre phénomène régissant la langue : le schème. Toute la logique de la langue tient à l’interaction de la racine et du schème. Ce dernier (mieux connu sous son nom hébraïque de michkal), est la musique qui rythme chaque mot. Racine et schème se complètent dans chaque mot et leur mariage – toujours harmonieux – est la clé de l’appréhension de la langue, que celle-ci soit instinctive ou le fruit d’un laborieux apprentissage.
Les schèmes nominaux ou verbaux constituent des squelettes dans lesquels sont coulées les racines. Ils sont en nombre limité et associés à des sens ou des usages spécifiques.
Pour les verbes, ces schèmes sont les binyanim. A un temps donné, les verbes d’un même binyan ont les mêmes consonances, ce qui les inscrit dans une essence sémantique. Ainsi, l’infinitif de la forme paal aura toujours à la troisième personne du passé (forme donnant son nom au binyan) la consonance a-a. Le piyel, catégorie dont la vocation est de « renforcer » une action, aura toujours à cette troisième personne du passé la consonance i-è. Les racines des différents verbes s’y fonderont. La locution
« il a gardé », marquant une action simple, sera donc שמר (chamar), tandis que le verbe « il a conservé » (plus fort, puisqu’on garde un enfant quelques heures, mais on conserve des trésors pendant des milliers d’années) sera שימר (chimer)et les boites de conserves : שימורים (chimourim), puisqu’elles sont certes moins périssables que ce que vous gardez au frigidaire ! De même, même si votre rejeton a cassé un verre (שבר chavar), ce n’est pas grave, ne vous fâchez pas. Rien à voir avec l’acte de Moise qui, en voyant les Hébreux s’adonner au culte du veau d’or, brisa(שיבר chiber) les Tables de la Loi.
Les schèmes des substantifs obéissent également à des règles subtiles, les consonances ayant aussi un rôle sémantique. Chaque mot peut s’inscrire dans une catégorie et se plie à ses règles. Les corps de métier, tels que coiffeur, menuisier, tailleur de pierre ou ornithologiste ̶ respectivement ספר (sapar), נגר nagar, סתת (satat), צפר (tsapar) ̶ ont une structure en deux syllabes, du mode a-a. Les maladies, elles, ne débordent pas de leur cadre bien établi et se déclinent toutes sur le mode a-é-é. Pas de risque d’épidémie non contrôlée avec צהבת (tsaévét), la jaunisse; חזרת (hazérét), les oreillons ou, D. nous en préserve, גרדת (garédét), la gale. L’hébreu a aussi catalogué les outils ou les lieux d’une action, pour ne citer qu’eux. Ce qui permet instinctivement au locuteur hébraïque de saisir la signification d’un mot, même s’il ne le connaît pas.
Ce post est tiré du livre de Fabienne Bergmann, L’hébreu parle aux Français, Editions Lichma, disponible dans les librairies françaises d’Israël, en France et sur le site https://www.lichma.fr